Ces dernières semaines ont été à peine vivables. Je me demande pourquoi, est-ce que cela m’affecte autant? Je suis convaincue que tu ne vis pas sous un rocher, si tu me lis, tu sais de quoi je parle: du meurtre public de George Floyd. Je me suis un peu trop attardée, à tort ou à raison, à lire les commentaires et les feeds des media, chose que je m’étais interdite de faire ces dernières années car le manque d’objectivité de certains commentateurs me dérange.
Dans les faits, il s’agissait d’un meurtre public engendré par un membre des forces de l’ordre, pour moi, c’est un énième meurtre gratuit d’un afro-descendant… Je ne peux pas m’expliquer cette douleur, ni pourquoi ces dernières paroles “I can’t breathe” me font aussi mal.
Je m’étais interdite de lire ces commentaires et finalement, j’ai cédé à la tentation, et ce que je lis me glace de dégoût: “cet homme méritait de mourir parce que c’est un repris de justice. “
Ces mots résonnent dans ma tête. Je ne sais plus comment comprendre cette information, je suis en colère, je suis fatiguée, je suis triste, je pleure, repeat.
Un matin, mon regard s’est attardé sur mon fils, longuement, je l’ai observé, j’ai ris à ces bêtises et là, mon cerveau, oui mon cerveau m’a posée la question:” Et si c’était lui, et si… s’en est suivi une longue réflexion de pensées sombres à l’idée de penser que moi aussi je pourrais un jour perdre mon soleil, mon tout mon enfant, mon amour, ma raison d’être. Pourquoi? ” la couleur de sa peau” .
Tu sais, mon fils est la plus belle chose qui me soit arrivée. Il est beau. Il est drôle. De sa naissance à maintenant, les gens ont toujours été curieux, parfois trop curieux à dire vrai, à tel point qu’ils se permettaient de le toucher sans me demander, parce qu’il est “cute”… no comment.
Oui, très honnêtement, sans me vanter, je le trouve cute ce petit pirate, il parle fort, il est très athlétique, on ne s’ennuie pas. Je l’aime ce petit pirate.
Je prête à rêver parfois, je l’imagine avec fierté, devenir adulte, fort, grand, comme son père et les hommes de ma famille.
Ce bébé, ne sera bientôt plus un bébé, parce que je vais devoir prendre le temps de m’assoir avec lui. Son père et moi, allons devoir prendre un moment, un temps qui ne sera dédié pas dédié à l’histoire du soir, ou à lui parler de philosophie, de la vie, des relations homme-femme, mais de sa couleur de sa peau, de la perception du monde au sujet de la communauté noire. Quelle injustice! Il n’a que trois ans!!! Trois ans!! Je vais devoir lui apprendre à se comporter, à réagir, à faire face aux actes racistes latents car c’est un garçon, un garçon de “couleur”.
Toi qui me lis, tu sais que le racisme ne date pas d’hier. Seulement, cette peine, ce énième deuil que l’on vit tous aujourd’hui me rappelle de souvenirs, des souvenirs tristes que j’ai vécus et dont je souffre encore ainsi que toutes les communautés racisées. (Je déteste ce mot:”racisé”, je le trouve laid.)
Petite fille, pleine de vie, et de joie, j’avais constaté que ma maitresse de l’époque me regardait toujours de travers. L’année de mes 8 ans, elle s’est écriée:”Oh ça pue dans cette classe en me regardant dans les yeux!” À l’époque, il y avait “nous”, les enfants d’immigrants et les autres. Nous, nous avions droit à un traitement spécial, elle jetait notre cahier par la fenêtre en nous traitant d’imbéciles et bons à rien.
Moi, fille d’immigrants, élevée au tu-dois-cravacher-bien-plus-que-les-autres-car-tu-es-noire, il fallait aussi que j’aille expliquer pourquoi mon cahier était bardé de remarques, de remontrances et d’insatisfactions de la maîtresse. Honteuse et naïve, que pouvais-je répondre? Je ne savais pas ce que cela signifiait vraiment.
Puis cela a duré des mois, finalement, j’ai été conviée (comme tu t’en doutes, c’est un euphémisme), malgré moi par mes parents qui m’ont questionnée afin de savoir où était le problème. Car dans les traditions, l’adulte a toujours raison. J’ai dû expliquer, j’ai raconté et répété les mots de la maîtresse naïvement. Ce jour-là, mon père, furieux et outré, m’a arrachée mon cahier des mains et a écrit une lettre, une très longue lettre. Après quoi, comme par enchantement, mes tourments, ce sont quelque peu arrêtés. J’ai lu cette lettre en catimini, croyez-moi, elle l’avait bien mérité cette lettre.
Aussi, longtemps que je me souvienne, j’ai toujours grandi avec ce sentiment de différence, d’être moins bien que les autres parce que mon taux de mélanine est plus élevé, parce que cela n’a jamais été réprimandé qui que ce soit, et que cela a toujours été la norme. Tu sais, je me rappelle aussi du moment où on m’a même dit que c’était une invention de notre communauté, que l’on se victimisait un peu trop.
Bibliophile, à 19-20 ans, en classe prépa, on m’a aussi demandée pourquoi je lisais dans le Ventre de l’Atlantique de Fatou Diome, pourquoi je m’éduquais sur mon histoire, le vécu et l’histoire de membre de la Communauté Noire à travers le monde. D’ailleurs, ces dans ces mêmes classes, considérées comme la crème de la crème en France, que l’on m’a parfois demandée où se trouvait mon pays l’Afrique. Laisse-moi te dire que la liste de ces micro-agressions, actes et commentaires racistes est longue. L’ignorance et la bêtise humaine est un fléau plus que centenaire. Face à cette pandémie intellectuelle, l’éducation est la seule arme que je connaisse.
Tu sais quoi, I’m done crying. Mes larmes de tristesse, de peine, n’apporte aucune solution. Eduquer mon enfant est ma solution. Et toi, qui me lis, quelle est ta solution? Car si tu fais partie du problème, tu sais que tu as besoin d’apprendre, d’engager la conversation afin que mon fils ne soit pas une statistique de plus. J’ai aussi confiance en toi, car tu ne sais pas quoi dire mais tu as certainement la chance de savoir lire et écrire et d’avoir accès à une bibliothèque ou Internet, alors fais bon usage de ce privilège, utilise cette chance pour que mon fils, nos enfants, puissent grandir dans un monde meilleur, pour que mon fils ne soit pas une statistique à cause de l’ignorance des uns et la bêtise des autres et afin que nos enfants jouissent de ces mêmes libertés.
Cette exercice est cathartique, m’est nécessaire aujourd’hui, car trop c’est trop.
G.